À voir sa position (kufukata), celle d’une femme assise posée sur ses talons et tenant un récipient, certains chercheurs européens l’ont baptisée « la mendiante » et d’autres « la porteuse de coupe ». Cet objet est commun chez les Baluba en général, et dans divers styles chez les Bahemba. Les autochtones l’appellent kabila ka vidye, « kabila de l’Esprit suprême ». Le nom kabila dérive du verbe kubila, bouillonner, bouillir, par référence à l’eau chauffée ou turbulente. Certaines sources rattachent ce nom au verbe kwabila (ku-abila), souhaiter, désirer, aimer de façon pressante, pour offrir, réconforter, vivifier. Il est kabila kà.bila, qui donne, partage et symbolise la générosité, l’apport du bonheur, de la vie. Kabila est un esprit féminin, épouse de l’esprit masculin Nkulu-a-manyinga qui réside dans les eaux thermales de Nkulu Butombe, à Malemba. Il est Kabila Mwanza mudya kitele, kyakatelelwe ye kyakatenganga, le divin esprit initiateur qui ne mange que ce qu’on lui a montré et ne touche pas à ce qui ne lui revient pas. C’est un esprit ordonné, symbole de l’honnêteté, de l’intégrité, de la noblesse. Le récipient qu’il porte s’appelle mboko, le même nom que le petit pot en terre cuite ou en quartier de calebasse évidée, kalembo, placé dans la toiture en miniature posée à même le sol et nommée Kobo ka bakishi, case-réceptacle des esprits. Ce récipient contient du mpemba ou kaolin blanc et parfois aussi des malungo ou perles, en vrac ou enfilées. La blancheur du kaolin symbolise la chance, l’innocence, la bonne fortune, l’assurance de la réussite, la faveur du monde des esprits, l’exaltation de l’invocation, la proximité ou l’intervention des esprits, l’éclat du jour, la lumière… Le blanc est un signe de chasteté et d’intégrité morale et spirituelle, du refus de la souillure et de la compromission. Quant aux perles, s’il y en a, elles jouent le rôle de lufungulo lwa bukishi, la clé de la spiritualité. Elles interviennent dans le culte traditionnel de nos jours encore, la couleur déterminant le type d’invocation : louange, supplication, lutte spirituelle, exorcisme… Marque de beauté corporelle, elles ont aussi une valeur esthétique et, intervenant dans les échanges économiques et financiers, elles constituent aussi une valeur monétaire.
Contrairement à ce qu’avancent certains chercheurs, kabila n’est en rien une mendiante, une nécessiteuse sollicitant la générosité ; ni d’ailleurs une simple porteuse de coupe de boisson alcoolisée ou encore une ivrogne insatiable voulant se griser à souhait ou offrir le puissant vin de palme (malevu ou malafu). Il s’agit plutôt du mboko, réceptacle de l’esprit féminin attributaire des qualités suivantes : tendresse, générosité, donneuse, protectrice de la vie, consolatrice des affligés. Elle accorde la bonne fortune (mwabi), la chance et l’innocence (lupemba), la blancheur, la réussite et la victoire. Elle ne mendie pas, elle donne en se donnant elle-même sans compter. Elle présente les faveurs divines dans le récipient qu’elle tient entre les mains et invite chaque mortel à se servir, à puiser à la source de la vie émanant de l’au-delà, à se blanchir, à se purifier pour bénéficier de ces faveurs du monde des esprits. Outre le mulopwe et d’autres chefs politiques, les voyants prophètes bilumbu, les devins mbuki, les guérisseurs nganga et les sacrificateurs bitobo usent de cette statue comme instrument de divination et pour contenir le kaolin sacré essentiel pour les investitures. Le mboko demeure le réceptacle de leurs esprits de divination. La statue féminine kabila ou « porteuse de coupe » peut aussi, croit-on, guérir les maladies par simple contact, protéger un village des malheurs, dévier les fléaux et les calamités sur le point de frapper le pays et servir d’instrument aux détenteurs d’autorité spirituelle afin d’influencer de façon magique le cours des événements. [Source: Lukanda Lwa Malale Ndeke, Florent dans: 100xCongo, 2020: 264]