Se terminant par une fourche ou kipanda, dérivant du verbe kupanda, fendre, ce porte-flèches en bois sculpté – lupanda ou luhanda, le p et le h étant interchangeables en kiluba – est doté d’une poignée recouverte de métal. On retrouve la même forme fourchue dans les poutres en bois utilisées dans la construction des cases, en tant que supports fichés dans le sol pour soutenir les murs et les charpentes. Le kipanda a pu aussi servir de support à des armes. Le lupanda en est la reproduction artistique rendant intelligible sa fonction symbolique. Trois faits historiques nous fournissent des renseignements essentiels à cet égard :
1. Avant d’entrer dans le pays des Lunda, Cibind Irung, le héros civilisateur muluba, avait enfoncé en terre une branche en forme de petite fourche à trois dents coupée à un grand arbre voisin. Il y suspendit son carquois, son arc, son couteau et tout son matériel de chasse. Le lendemain matin, Ruwej, la reine autochtone lunda, l’invita à traverser la rivière ; ils se marièrent et Cibind introduisit les usages de la royauté sacrée des Baluba dans sa nouvelle patrie. À sa mort, il fut enterré au lieu même où il avait planté la fourche, qui s’était depuis transformée en arbre sacré. Cet arbre symbolisé par le porte-flèches est une métonymie : Cibind Irung franchit la rivière et pénètre dans le pays où il va fonder une royauté sacrée, véritable alliance avec l’au-delà. À travers le mbala, le feu sacré du pouvoir qu’il a introduit, la « cuisine sacrée » associera le roi Mwat Yav et les esprits en une mystérieuse communion.
2. Le héros fondateur muluba, Mbidi Kiluwe, apparut au sommet d’un arbre surplombant un point d’eau, le lac Boya, lorsqu’une femme, Bulanda a Ndai, aperçut l’image de l’hôte se refléter à la surface. Pour qu’il en descende, cette soeur de l’empereur Nkongolo Mwamba dut s’adosser contre le tronc de cet arbre. Plus tard, Mbidi Kiluwe l’épousera et de leur union naîtra Kalala Ilunga. La position de la femme Bulanda, debout et adossée à l’arbre fourchu, rappelle l’allure de ce porte-flèches.
3. Dans la chefferie de Kinkondja, il existait un rite d’investiture qui s’effectuait dans un lac. Un arbre se terminant par trois branches était planté dans l’eau. Seules ces trois branches émergeaient. Le prince candidat (mulopwe) s’est assis entre elles, avant de s’immerger dans le lac pour y attraper un poisson albinos. Seul un candidat agréé par les esprits des souverains défunts (balopwe) pouvait réussir cette épreuve miraculeuse. Après être remonté sur la branche fourchue, il s’entendit dire que dorénavant, il n’a plus de famille, qu’il est un lion, un léopard, une hyène : « Mukwenu wabikala cinayi : ye ke nge, ye ke ntambo ! ». Dans le cas de Mbidi Kiluwe comme dans celui des princes de Kinkondja, le candidat était juché sur un pieu fourchu, entre ciel et eau ou entre ciel et terre. Les esprits du bulopwe l’investirent alors de pouvoirs surhumains. Les arbres (au niveau mythique), les troncs à trois branches (au niveau rituel), les porte-flèches (au niveau iconique) forment une même catégorie d’objets illustrant la capacité de médiation entre des domaines a priori séparés, et plus spécifiquement entre le monde des hommes et celui des esprits. Les porte-flèches sont donc une représentation appropriée de la fonction sacrée des souvenirs fondant le bulopwe.
Le luhanda sert ainsi d’insigne du pouvoir royal et/ou spirituel. Il est également considéré comme un réceptacle symbolique dans lequel le mulopwe garde des armes invisibles qui pourfendent les esprits négatifs. Cet objet est également conservé dans un lieu gardé secret, enveloppé d’une étoffe blanche (didiba ditoka). [Source: Lukanda Lwa Malale Ndeke, Florent dans: 100xCongo, 2020: 258]